Conférences digitalisation
Par Charles-Henri Russon*,
* Charles-Henri Russon est directeur de Département de Formation continue au Collège Polytechnique et Coordinateur à l’Institut de Gouvernance Numérique.
Aujourd’hui, notre société entre dans une évolution rapide. Une certaine pratique est en train de se généraliser. Le télétravail est un de ces exemples que nous vivons actuellement. Ainsi des tendances émergent et il nous faudra certainement du temps pour en observer les effets plus profonds. Toutefois, nous pouvons mettre, maintenant déjà, le doigt sur des compétences particulièrement utiles pour mieux maîtriser les enjeux, les limites et les impacts du digital. Un enjeu qui concerne notamment l’enseignement et la formation.
Dans l’enseignement, l’enjeu concerne les compétences à prioriser dans les cours. Dans celui de la formation, c’est l’ajout d’exercices dans les sessions de stages et d’apprentissages. Dans celui de l’emploi, pour les directeurs des ressources humaines, c’est porter l’attention dans le travail quotidien, surtout lorsqu’il s’agit de moderniser, d’actualiser et de faire évoluer des plans de formation. Pour les responsables d’équipe, c’est enrichir les savoir-faire essentiels et être attentif lors d’évaluations ou lors de dynamiques à installer pour préparer son équipe aux changements dans l’entreprise et/ou dans ses services.
Les évolutions de compétences utiles aujourd’hui
De nos jours, les différentes cartographies produites autour des compétences utiles convergent. Ces cartes sont très intéressantes et déjà, en partie, intégrées dans les programmes de formations actuelles.
À titre d’exemple, la carte du World Economics Forum (voir ci-dessous), met en exergue les compétences qui seront utiles en termes de soft skills, de personnalités et de compétences à apprendre pour l’avenir.
Toutefois, ces cartographies restent assez génériques et larges. C’est pourquoi, afin d’esquisser des réponses aux questions de demain, il est pertinent de s’intéresser concrètement aux choses qui se passent dans les ateliers et dans les bureaux.
Pour comprendre concrètement ce qui se produira dès demain, nous sommes allés voir ce qui se passe lorsque nous introduisons un robot en atelier, lorsque nous multiplions le télétravail ou le travail nomade ou lorsque nous introduisons de nouvelles formes de travail ou de nouvelles applications. Une telle observation a permis de donner un travail très concret sur des compétences à développer pour l’avenir voire dès à présent.
Au terme de ce travail d’enquête, 5 situations professionnelles observables ont été identifiées. Pour chacune de ces situations, 5 conséquences ont été analysées. C’est 5 situations ou challenges qui sont développés ci-dessous. Elles apportent des adaptations à faire pour protéger son équipe, ses apprenants ou ses étudiants afin qu’ils vivent plus durablement à travers ces évolutions rapides.
Challenge 1 : la multiplications des stimulations
« Nous pouvons dire que nous sommes interrompus toutes les 3 à 4 minutes dans un open-space. »
Le premier challenge présente le constat que nous pouvons être interrompus régulièrement aujourd’hui par différentes notifications tels que des courriels ou des sonneries. Nous avons pu observer le travail en cobotisation où un opérateur doit mener des opérations, soit avec un ou plusieurs robots, soit avec un ou plusieurs écrans ou tableaux de bords. Nous avons alors constaté que l’esprit humain atteint ses limites lorsque le rythme de réponses s’accélère. Par exemple, dans un service de soins intensifs, les soignants reçoivent des dizaines d’alarmes visuels et/ou auditifs sur l’état d’un patient. Ces derniers doivent gérer tous ces signaux très rapidement. Autrement dit, le rythme de correctifs à apporter peut être très important.
Actuellement, nous pouvons dire que nous sommes interrompus toutes les 3 à 4 minutes dans un open-space. Pour des individus qui ont un travail de concentration, il faut faire face à la démultiplication des interruptions. Nous sommes donc devant une difficulté très concrète à organiser son temps et des chaînes longues d’activités. La charge mentale du travail augmente, ce qui signifie une augmentation des doubles contraintes (lire ou non un courriel qui semble important), une altération de la mémoire immédiate et une impression de submersion et de perte de confiance.
« Il s’agit d’avoir et de développer le réflexe de la déconnexion »
Pour mettre en place une solution, nous avons déterminé une compétence à développer : la dissociation fonctionnelle du temps. Il s’agit d’avoir et de développer le réflexe de la déconnexion en déterminant et en séparant les temps de concentration et les temps d’interaction. Il s’agit concrètement d’une habitude à acquérir qui n’est pas forcément spontanée car le cerveau humain est très sensible au signaux. Dès qu’il y a un signal nous avons tendance à nous déconcentrer. Il faut donc développer la capacité à créer une bulle en travaillant le principe de déconnexion activement.
Il faut également mieux identifier les délais parallèles et successifs. Nous sommes encore dans une logique de l’ordre. Nous faisons les choses par étape. Pour un individu qui a l’habitude de faire les choses dans le désordre, il sera à la longue beaucoup plus à l’aise avec la dissociation fonctionnelle. Il faudrait donc apprendre à faire les choses non plus dans l’ordre logique mais à mélanger les étapes. Pouvoir mélanger les temps fonctionnels et les logiques fonctionnelles est intéressant. D’autant plus que nous arriverions à trouver des choses à faire en parallèle. Par exemple, il y a des temps de latence tels que les enregistrements de fichiers où nous pouvons profiter pour consulter des courriels.
Par ailleurs, ce temps parallèle a beaucoup de valeur dans une entreprise. Mais il demande une charge mentale assez soutenue et donc une disponibilité assez forte de la personne. Une manière d’être résistant dans un monde où tout se mélange est d’organiser son temps par bloc cohérent. Nous avons pu observer que des personnes définissaient des blocs temps très courts comme la prise de café, la micro-sieste. En effet, il s’avère finalement que des blocs temps de relâche de la charge mentale sont très productifs.
Que ce soit en formation, dans l’enseignement ou dans son équipe, apprendre à gérer toutes les interruptions devient beaucoup plus important qu’avant. Le réflexe de la déconnexion, celui de mélanger les blocs mais aussi de travailler par blocs identifiés sont fondamentaux à partager avec les uns et les autres. La gestion fonctionnelle du temps va nous demander de travailler par blocs de temps et le plus possible en parallèle.
Challenge 2 : La perte de la mémoire intermédiaire
« La disposition de l’information digitale qui rend la mémorisation obsolète »
Dans nos observations plus poussées, nous constatons aujourd’hui que la plupart peuvent avoir des pertes plus ou moins importantes de mémoire dite intermédiaire. Ce challenge est terriblement important dans des entreprises où la mémoire des activités est peu écrite et où le fonctionnement de ces activités se fait par expérience et par mémorisation. C’est la disposition de l’information digitale qui rend la mémorisation obsolète. En effet, tout est disponible sur le web, dans un smartphone ou dans des lunettes de modélisation 3D. Nous avons moins besoin de notre mémoire.
Le calcul mental est lui aussi en forte régression. Il n’y a plus de mémoire des chaînes mais aussi de la mémoire des opérations. Les calculettes sont disponibles sur smartphone ou sur ordinateur. L’usage de la calculette se fait pour des opérations finalement assez simples alors qu’il se faisait avant par calcul mental. La mémoire de la conformité qui est une mémoire qui devrait être encore plus facile est elle aussi en régression. Les correcteurs orthographiques aujourd’hui se font automatiquement. Il n’y a plus d’utilisation d’une mémoire à long terme mais celle d’une mémoire de reconnaissance très rapide qui, par ailleurs, est de plus en plus réduite. L’impact est autrement plus considérable à long terme que l’agacement d’être interrompu. La perte de la mémoire intermédiaire pose de solides questions quand nous effectuons des opérations rares, quand nous faisons des opérations non documentées ou, particulièrement, quand nous innovons. Dans le cas d’une innovation, la difficulté est d’autant plus grande car il n’existe aucun soutien digital
Nous constatons donc une perte des facultés de mémorisation et une perte de la capacité à pouvoir faire des liens entre les choses. La mémoire externe appauvrit la mémoire interne. Cependant une telle constatation doit être prise sans jugement de valeur. Il s’agit d’une tendance générale relativement peu consciente car le résultat de la mémoire digitale est objectivement bien meilleur que la mémoire interne ou personnelle. Toutefois, l’intégration immédiate réduit le sens critique (cf. Fakes News). Nous vivons avec les réseaux sociaux cette perte car nous sommes dans une opération de simple collecte. Il n’y a pas d’opérations de comparaison. Ainsi les raisonnements sont plus courts, plus immédiats, plus rapides et plus satisfaisants mais ils ne posent pas la question des sources.
« Il y a un travail systématique à appliquer pour soi ou pour ses proches qui est d’entrainer notre mémoire à continuer à faire des liens logiques »
Pour faire face à ce challenge, il faut travailler la mémoire de processus et la mémoire de l’historique. Il y a un travail systématique à appliquer pour soi ou pour ses proches qui est d’entrainer notre mémoire à continuer à faire des liens logiques entre 3 éléments : le COS (constat-objectif-solution). Il s’agit de construire un schéma mental un peu plus large que simplement une recherche de solutions. Il s’agit également de créer une logique du pourquoi, de ce que nous voulons et du résultat. En d’autres termes, la solution constitue un lien pour aller du constat à l’objectif. En recréant cette logique, nous reconstruisons notre mémoire intermédiaire et nous conservons notre capacité à anticiper les actes à faire, de les programmer, de lister les choses à faire et de les inscrire dans des blocs temps.
Ensuite, il faut également travailler la capacité de comparaison c’est-à-dire le sens critique. Il s’agit de comparer, à partir d’un constat, d’un objectif et de différentes solutions pour ensuite réfléchir à pourquoi telle solution est préférable à d’autres. L’analyse multicritères et multifactorielles doit être travaillée car il s’agit de quelque chose que les machines pourront nourrir plus facilement. Ensuite quand nous avons appris ce principe de comparaison, nous pouvons entamer le travail qui consiste à déterminer où chercher l’information. La mémoire des sources se traduit dans le travail des étudiants par référencer leurs sources. Dans une formation professionnelle, il s’agit de citer plusieurs sources et inviter les apprenants à consulter ces sources. Pour un manager, c’est concentrer l’information dans un registre, un SharePoint par exemple, de manière à organiser et regrouper les documents originaux à la bonne place.
Ce travail de recréation du processus dans la mémoire intermédiaire est tout à fait considérable. S’il n’est pas travaillé activement, il s’appauvrit. Pour entretenir la mémoire fonctionnelle et la développer, il faut un travail sur la mémorisation centralisée de l’information. Il s’agit, en d’autres termes, de prendre le réflexe de noter et de partager si c’est possible les sources d’informations que nous utilisons, en avoir plusieurs et commencer à les qualifier (la meilleure, la plus fiable, …) au niveau professionnel, personnel et citoyen.
Challenge 3 : la désactivation des circuits de récompense
« Les variables technologiques jouent une rôle dans la perte de visibilité du travail fait.»
Le troisième constat concerne un phénomène étrange dans le monde professionnel : la désactivation des circuits de récompense. Il s’agit d’un schéma mental qui commence à être mieux connu maintenant. Ce schéma est très important car il fournit le plaisir et donc l’envie de travailler. Les variables technologiques jouent une rôle dans la perte de visibilité du travail fait. Auparavant, le travail des architectes passait par la conception d’une maquette. Celle-ci était approximative mais donnait un volume d’ensemble.
Pour l’architecte, voir un objet 3D et voir la réalité d’un objet qu’il avait en partie construit donnait quelque chose d’excitant. Aujourd’hui, le BIM permet de créer des maquettes 3D par ordinateur. Celles-ci peuvent se voir devant un écran mais il n’est plus possible de les toucher. Le travail sur écran surévalue la vue. La perte du contact matière dans les entreprises ou dans les ateliers change les circuits cérébraux. La médecine du travail a permis de comparer des encéphalogrammes d’ouvriers dans la maintenance entre ceux de 10 ans et ceux d’aujourd’hui. Nous avons pu constater une adaptation et une plasticité du cerveau des ouvriers qui, aujourd’hui, sont derrière des tableaux de bords. Toutefois, ce phénomène induit des conséquences. En effet, nous constatons un attachement moins fort chez ces ouvriers, contrairement à ceux qui sont encore en contact avec la matière dans les chaînes de production. L’attachement à ce qui est fait par nos mains a de la valeur. Et c’est ce qui se perd à partir du moment où nous sommes derrière un tableau de commande.
La perte de sens semble entraîner une perte de créativité. L’appauvrissement des circuits de récompense rend indifférent à ce qui est créé par soi-même. Dans des cas où il y a un incident sur un chaîne, nous nous rendons compte que la réaction est plus stéréotypée que lorsqu’il y a un accident sur un objet créé soi-même. La mobilisation mentale est alors tout à fait différente.
Dans l’appauvrissement des circuits de réactions, nous nous rendons compte qu’il y a là matière à réflexion. Des individus qui sont devant des commandes automatiques tout la journée cherchent la satisfaction dans d’autres flux d’action. Ils nettoient leur tableau de bord, jouent à autre chose pendant que le flux d’action se gère automatiquement ou recréent des contacts sociaux. Leur regard ne se dirige pas uniquement vers le tableau de bord mais aussi vers des objets faciles à toucher. Des opérateurs touchent des choses alors qu’ils ont, à priori, toutes les informations nécessaires sur leurs écrans. Enfin, les degrés d’implication et la réactivité se réduisent globalement. Un travail qui se fait uniquement sur écran et qui ne contient pas de rapport humain, rend les travailleurs beaucoup plus mobiles entre emploi et employeur. Finalement, ils ne font plus un métier mais utilisent une application et peuvent très bien aller l’utiliser ailleurs. Cela se voit chez les comptables, notamment les apprentis comptables, où la fidélisation pour un employeur est très faible. Ce sont des éléments de proximité ou de salaires qui, en somme, maintiennent les travailleurs.
« Il faut […] travailler le sens du “pour qui ce travail est destiné et pour quoi il est fait”. »
Pour garder cette dynamique essentielle d’équipe, de service et d’adhésion aux missions des entreprises ou de l’administration, il faut entretenir et développer un plaisir social de se réaliser. Partager son travail et ses réalisations est quelque chose qui est finalement important car nous nous rendons compte que des apprentis comptables qui partagent leurs expériences professionnelles reprennent du plaisir et un peu d’implication quand ils peuvent raconter les astuces qu’ils ont trouvé. Nous nous rendons compte qu’un développeur ou un gamer qui peut partager ses expériences avec d’autres reprend également du plaisir. Il faut chercher à améliorer sans cesse mais avec les autres, à poser des questions, à échanger et travailler le sens du « pour qui ce travail est destiné et pour quoi il est fait ». C’est également avoir un dialogue entre producteur et consommateur, entre service en amont et service en aval mais également avoir un délivrable plus tangible, etc. Il s’agit, en somme de réhumaniser un travail qui est digitalisé.
Pour retrouver du plaisir, revaloriser et continuer à valoriser socialement le travail, il faut créer des communautés d’intérêt. Dans la création de communautés sur des plateformes (Teams, cours en ligne ou réseaux sociaux), celles qui fonctionnent très bien sont des communautés d’intérêt basées sur des valeurs, des combats ou sur de l’échange d’informations jugés essentielss. Des communautés, qui sont simplement des adjuvants à un cours ou des compléments formels à une entreprise, fonctionnent moins bien. C’est pourquoi, il faut animer les communautés d’intérêt que nous créons.
Challenge 4 : dissocier analyse et « cours de math »
« les pratiques d’analyses sont bien en-dessous de ce que les outils permettent de faire »
Aujourd’hui, nous constatons que peu d’individus prennent des filières mathématiques dans l’enseignement secondaire ou à l’université et que peu se reconvertissent dans des fonctions d’analystes. Dans le milieu professionnel, les pratiques d’analyses sont bien en-dessous de ce que les outils permettent de faire. Cela peut être dû à une confusion entre analyse et mathématique.
Nous avons mené une expérience auprès de décideurs de terrain (directeurs, PDG, patron, etc.). Nous les avons observés en leur présentant des tableaux de résultats financiers tels que des budgets, des plans de trésorerie ou des états de compte d’une entreprise. Ces derniers devaient indiquer ce qu’ils constataient s’ils étaient les patrons de cette entreprise. Un dispositif d’eye tracking était installé sur les ordinateurs afin de suivre le mouvement des yeux. Cela permettait d’identifier ce qu’ils regardaient. Dans la plupart des cas, 80 % ont commencé à tirer leurs conclusions alors qu’ils n’avaient fait qu’une lecture sommaire des tableaux. Leur attention était d’abord focalisée sur le bas où ils pouvaient voir la somme, ainsi qu’un ou deux chiffres. Ce n’est qu’en découvrant progressivement l’entièreté des chiffres qu’ils ont été menés à nuancer leur réponse. Généralement, les individus suivent un schéma d’analyse très simple. Leur regard n’est pas habitué à une mise en forme originale. Cela est lourd de conséquences car de plus en plus de chiffres sont présentés à l’écran sous forme de tableau or la lecture de celui-ci est rarement neutre.
« Des individus qui prennent du plaisir à analyser, à rapprocher et à comparer les chiffres manquent particulièrement »
Nous avons également pu nous rendre compte lors de cette expérience, que la plupart des décideurs se forgeaient déjà une opinion négative au moment de la présentation. Le plissement des yeux et les formulations vagues laissaient, en effet, sous-entendre que l’entreprise ne fonctionnait pas. Dans la plupart des cas, les décideurs ont essayé de valider leur conviction en regardant des chiffres. C’est ce que nous appelons l’usage seul de validation. Globalement, nous avons constaté une fuite des cerveaux. Il y a des difficultés à trouver des analystes alors que les IA, les réseaux de neurones et le potentiel des data analyse se développent. Des individus qui prennent du plaisir à analyser, à rapprocher et à comparer les chiffres manquent particulièrement, ce qui se différencie des individus capables de faire des mathématiques.
Nous constatons comme impact une faiblesse de nos prises de décisions qui peut être liée à une peur des mathématiques et une confusion entre l’abstraction et l’analyse. La plupart des personnes interviewées, notamment chez les jeunes universitaires qui n’ont pas pris de cours à orientation scientifique, disent qu’ils étaient mauvais en mathématique. Il faudrait dissocier beaucoup plus les facultés d’analyse, qui sont des facultés de rapprochement et de proportion, de celles de la formule mathématique.
Il est évident que la plupart d’entre nous décide vite, parfois sous stress et avec une charge mentale parfois importante. La faiblesse de la vitesse comme critère de décision laisse peu de place pour des opérations enrichies d’analyse de comparaison. Il y a donc une sous-utilisation des outils d’analyse et des potentiels. Il suffit de voir toutes les fonctions qu’une feuille Excel permet de faire. Plus vite nous allons et moins nous nous perdons dans des analyses et plus cela nous semble satisfaisant pour notre cerveau.
Face à ce challenge, la compétence à développer serait de retrouver le plaisir d’analyser, de travailler sur les signaux forts et les signaux faibles, de comparer et d’analyser des séries. Nous avons vu dans les cas précédents, qu’il était important de garder et de qualifier ses sources. Il y a toute une compétence à développer qui n’est pas spontanée et qui est de travailler sur les signaux faibles et d’en faire des séries en trouvant de nouvelles constantes ou des habitudes à appliquer pour obtenir tel ou tel autre résultat. Il y a également un travail d’innovation et de capacité à toujours mieux personnaliser ce qui peut être installé dans les espaces tels que des services. Aujourd’hui il est possible d’accumuler pas mal de données sur un demandeur d’emploi ou sur un étudiant. Ces données peuvent aider à repenser un parcours à travers, non plus une première impression ou une décision émotionnelle à court terme, mais à travers la mémoire intermédiaire qui à long terme permet de voir des tendances. Ces éléments sont des parties importantes de la fonction d’analyse, c’est-à-dire des compétences de comparaison et de compréhension du réel.
« Il s’agit de développer la capacité d’analyse combinée de signaux et notamment la sensibilité aux signaux faibles chez les apprenants et les étudiants. »
Pour résoudre ce challenge, il faut essayer de faire sortir des améliorations d’une analyse de données. Dans des formations, ces pratiques sont finalement très satisfaisantes car elles permettent aux individus, dans des situations complexes, de sortir une ou plusieurs alternatives. C’est une capacité qui consiste à se familiariser aux tableurs, aux requêtes algorithmiques et à faire varier les questions afin d’obtenir des réponses alternatives. En somme, il s’agit de développer la capacité d’analyse combinée de signaux et notamment la sensibilité aux signaux faibles chez les apprenants et les étudiants.
Challenge 5 : l’îlot algorithmique
« Nous finissons par être sur un îlot où tout nous ressemble »
L’îlot algorithmique est la conséquence des algorithmes vu dans le challenge 4, c’est-à-dire qu’une fois que nous avons trouvé chez quelqu’un quelque chose qui lui plait, nous avons tendance à lui présenter des choix équivalents. Un algorithme peut être un algorithme de rapprochement. Le principe d’îlot algorithmique est gênant quand nous y ajoutons en plus la pratique de communauté auquel nous adhérons par ressemblance. Nous finissons par nous trouver sur un îlot où tout nous ressemble, où tout nous parle et où rien ne nous est étranger. Les îlots algorithmiques sont une réalité que nous connaissons et qui nous conduisent à introduire dans les algorithmes des choix aberrants ou de proximité. La démultiplication des choix suggérés est censée nous offrir ce que nous pourrions aimer. Ce sont des boucles thématiques qui fonctionnent sur nos anciens choix. Nous risquons ainsi de nous enfermer dans un principe de ressemblance, sur des communautés de préoccupations, et donc de ne pas s’ouvrir.
Ce principe d’isolement et de renforcement des ressemblances dans un îlot a des conséquences. Il forme des groupes par ressemblance. C’est un phénomène d’égotisme qui est en pleine recrue d’essence, que ce soit dans les écoles ou dans la société. Nous dérivons même à nous enfermer dans une logique, à penser que nous avions raisons et que les autres ont tort. Cela nous mène à une réelle sous-utilisation de la variété et des complémentarités.
« Les îlots algorithmes sont un vrai danger parce qu’ils enferment les individus dans un groupe social et dans un groupe d’idées. »
Une compétence à développer est donc l’utilité de la complémentarité. Elle nous aide à sortir de la ressemblance pour comprendre l’utilité des autres et transformer la différence en complémentarité. La capacité à pouvoir comparer ce que nous faisons et ce que les autres font, puis d’ intégrer des nouveautés et des alternatives technologiques, permet de s’ouvrir à autre chose. Le web, par exemple, permet de sortir de ces automatismes que nous avons installés.
Les îlots algorithmes sont un vrai danger parce qu’ils enferment les individus dans un groupe social et dans un groupe d’idées. Au niveau professionnel, cela nous enferme dans une envie de constance et de réplication de ce qui existe, au détriment de l’innovation ou de la découverte d’évolution. Au niveau social, cela pose la question de découvrir et de vivre avec les autres. Nous avons là un travail permanent à faire pour tous les enseignants et ls formateurs car la fonction sociale de complémentarité est essentielle. Pouvoir s’ouvrir à la nouveauté et rester curieux est quelque chose de très important. Pour sortir des îlots algorithmiques, la recherche d’alternatives et de complémentarités sont des choses à développer dans tous les programmes de formations.
Les cinq ingrédients clés
Si nous voulons aider nos contemporains à entrer, à utiliser à valoriser, à maîtriser et à avoir du plaisir avec tout le monde digital qui s’installe autour de nous, ces 5 compétences constituent les ingrédients clés à travailler.
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Cette conférence a été réalisée durant le confinement sanitaire en juin 2020. Nous remercions Monsieur Charles-Henri Russon ainsi que les participants qui ont été nombreux.
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À revoir en replay la conférence